Chronologie des textes fondateurs :
Toutes les traditions initiatiques et de passage de l’Etre d’un état à un autre prétendent prendre leurs sources en des temps immémoriaux. Cette présentation, qui reste fausse la plupart du temps, permet de faciliter l’acceptation du rite, l’intégration au groupe et la poursuite des efforts en les inscrivant dans une lignée ancestrale par laquelle l’impétrant trouve du sens à son vécu.
On y trouve des références païennes ou bibliques ou issues de l’ancienne Egypte, de la chevalerie moyen-âgeuse, empruntes de transmutations plus ou moins ésotériques.
On se perd dans ces traditions ancestrales, transcriptions écrites de traductions orales qui cumulent les approximations, les erreurs chronologiques, erreurs de traduction ou d’appréciation du contexte historique.
- Les textes précurseurs datent d’avant la naissance de la première grande loge à Londres en 1717. Ils ont été rédigés entre le XIV et le XVI siècle.
- Les textes du XVIII siècle envisagent globalement toutes les sociétés et précisent l’idée d’universalité et le rôle que prétend jouer la Franc Maçonnerie dans la société.
- Les textes plus récents eux insistent sur le pouvoir de l’initiation et la reconnaissance de la fraternité.
Bien que très différents, tous ces textes et les personnages qu’ils mettent en scène conduisent à l’idée d’un héritage commun, une tradition venue du fonds des âges chargées de sagesse du fait de leurs références aux premiers grands philosophes.
Ces textes forment un imaginaire collectif francs-maçons basé sur la continuité d’un concept d’humanité.
Le poême Régius :
Parmi les premiers textes figurent le poème Regius et le manuscrit Cooke qui font revivre les anciens usages de la maçonnerie anglaise au travers des « old charges » ou « anciens devoirs ».
Rappelons que le « devoirs » était en fait des fraternelles professionnelles qui ont succédé aux corporations de métiers soutenues par les pouvoirs religieux car permettant de maintenir une certaine autorité sur la main d’œuvre locale. Les bâtisseurs itinérants, charpentier ou tailleur de pierre s’affranchissent ainsi des pouvoirs des seigneurs et – paradoxalement de leurs maîtres – en s’accordant sur des règles de déontologie et de prix pour restreindre la concurrence déloyale. Ils puisent alors leurs références dans le premier des livres des Rois, la bible et l’histoire de Noé et leurs architectes s’appellent maître Jacques, menuisier et maçon et Soubise, maître charpentier.
Directement adapté de l’organisation des bâtisseurs renommée « anciens devoirs », le poème Régius est daté de 1390 environ. Il est rédigé en 794 vers, manifestement par un clerc, qui témoigne des devoirs traditionnels de la maçonnerie opérative anglaise. Il comporte trois parties, dont l’histoire du métier avec la géométrie d’Euclide, puis 15 articles exposant les devoirs, puis des emprunts à divers textes du milieu du XIVème siècle parmis lesquels un poème (« Urbanitatis ») et un récit de légende populaire (les quatre couronnés).
Par exemple voici un décousu d’extraits du Regius : « ici commencent les statuts de l’art de Géométrie et d’Euclide / l’histoire de grands seigneurs et de grandes dames / tinrent ensemble conseil pour eux, de décider pour le bien de ces enfants comment ils pourraient mener leur vie sans grand inconfort ni souci ni lutte / cet honnête métier qu’est la bonne maçonnerie fut constitué et crée ainsi / ils inventèrent la géométrie et lui donnèrent le nom de maçonnerie ».
En 1420 lui succède le manuscrit Cooke. Il est rédigé cette fois en 960 lignes de prose et reprend les « old charges » en seulement neuf articles qui expliquent les sept arts libéraux.
Il s’agit là encore d’une transcription de la tradition orale et picturale : déjà vers 1180 on trouve des représentations abouties où la philosophie, personnalisée par Socrate et Platon, figure avec 3 têtes que sont l’Ethique, la Logique et la Physique. Sept fontaines s’en écoulent qui forment les 7 arts libéraux composés de la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie.
Non loin de là, mais différents car en Ecosse, sont publiés le 28 décembre 1598 les statuts et ordonnances de William Schaw, maître des travaux de sa majesté pour la construction des ouvrages du Roi sous le titre de « Garde Général du Roi ».
Succédant aux loges médiévales autonomes et souveraines, l’organisation du métier repose désormais sur un réseau de loges administrées par le Garde Général qui diffèrent notablement des anciennes loges médiévales, souveraines uniquement sur leur territoire, lesquelles subsisteront quelque peu de temps après la mise en place des statuts Schaw.
Schaw créer la fonction de « Garde général du métier » et reprend les devoirs énoncés dans le manuscrit Cooke. Y figure par exemple : « être sincère les uns envers les autres, bien servir son maître, ne pas accepter de travail qu’on ne puisse mener à bien, ne pas évincer un maître ou un compagnon ni reprendre la tâche dont il était chargé sans son accord ».
Les loges élisent alors annuellement un Garde (Warden) pour les présider avec l’accord du Garde Général du Roi. Ce garde est chargé de veiller à la carrière du maçon qui passera d’apprenti enregistré (Booked) à apprenti entré (Entered) après deux ou trois ans, puis compagnon du métier (Fellowcraft) ou maître (Master) après une cérémonie symbolique.
Les statuts Schaw ont une place à part tant ils se réfèrent aux constructeurs du temple de Salomon qui répandirent les connaissances du métier avec la célébration du 2 avril comme jour du démarrage de la construction du temple de Salomon.
150 ans après ces textes, apparaît en 1583, toujours en Angleterre, le manuscrit « Grand lodge n° 1 » qui forme une deuxième génération des Anciens Devoirs et acte de la naissance de la maçonnerie spéculative en adaptant les traditionnels « old charges » à de nouvelles perspectives humanistes en rapport avec les aspirations sociales du moment.
L’organisation nationale anglaise des loges du métier auraient été définies lors d’une assemblée le 8 décembre 1663 sans que l’on ne sache vraiment où cela a pu avoir lieu.
La première trace tangible d’une initiation figure dans le journal personnel de Elias Ashmole qui mentionne qu’il avait été fait maçon spéculatif le 16 octobre 1646, dans une loge composée de neuf membres. Pour l’anecdote on notera que le sieur Ashmole n’a assisté dans sa vie que deux fois à une réunion maçonnique.
Que décrivent réellement ces devoirs ?
Voici un aperçu de quelques-unes des valeurs qui y sont développées :
- Le respect des ordonnances établis par les prédécesseurs.
- Loyauté et charité les uns envers les autres.
- Obéissance aux surveillants
- Honnêteté, sincérité et diligence dans les accords (les commandes) passés.
- Garantie d’achèvement des travaux engagés.
- Respect d’un prix convenu par avance et interdit de concurrence déloyale.
- Surveillant élu par ses pairs.
- Aucun maître ne prenant plus de 3 apprentis au cours de sa vie.
- Et engagement de l’apprenti pour sept ans avant de passer compagnon…
La plus ancienne publication en français date de 1782 et traite paradoxalement des compagnons tailleurs de pierre de l’ancien Saint Empire Romain Germanique de Spire, Strasbourg et Ratisbonne au XV siècle.
Connus sous le nom de statuts de Ratisbonne, nom francisé de la ville de Regensburg, ils prescrivent des règles pour tout l’empire Romain Germanique et ont été rédigés en allemand avant le milieu du XV siècle, vraisemblablement sur la base du manuscrit Cooke.
Ces statuts ont été validé par l’empereur Maximilien I à qui on a fait dire : « il y a trois raisons principales pour travailler la pierre : le plaisir, la nécessité et la force ». Peut-être sont-ce là les prémices des 3 piliers du rite français du Grand Orient De France.
La confraternité des maçons libres d’Allemagne fait référence à la Bauhütte, traditionnelle maison du compagnon bâtisseur, adossée au flanc Ouest de la cathédrale pour mieux y recevoir la lumière nécessaire aux travaux de traits de la planche à tracer.
Les constitutions d’Anderson publiées en 1723 forment le texte le plus connu du monde maçonnique, sans doute parce qu’il est l’évocation de l’esprit des Lumières et de l’intégration des classes laborieuses.
Commandées par le grand maître de la loge de Londres, elles sont l’œuvre d’une coopération entre le révérend James Anderson, pasteur presbytérien et le huguenot Jean Théophile Désaguliers, avec pour but d’apaiser les luttes religieuses et de réguler les pratiques divergentes au sein de la Grande Loge. Le texte a été plusieurs fois remanié – d’ùu sa dénomination au pluriel – pour aboutir à la version de 1813 et à la fin de la querelle des anciens et des modernes et la création de la Grande Loge Unie d’Angleterre.
En France, les constitutions n’ont pas été utilisées avant la seconde moitié du XX siècle.
Sa seconde partie relative aux obligations et devoirs est le socle de la Franc Maçonnerie actuelle, tandis que sa première partie tente d’assoir le fantasme d’une continuité entre Salomon et les souverains Anglais.
Les constitutions d’Anderson – ajoutons et de Désaguliers – sont la source de l’émancipation religieuse et politique de la Franc Maçonnerie mais les femmes n’y sont pas reconnues.
Parmi tous les textes qui ne seront pas cités, dont notamment des apports modernes dues à Maria Deraismes ou à Arthur Groussier, il faut signaler l’apparition du manuscrit Graham en 1726.
S’il comporte de nombreuses références au fait religieux, il se différencie des autres récits en proposant un rite à 3 degrés et un fondement à la légende du troisième grade. Il porte en lui les sources de futurs développements rituéliques, la description des mots, des signes et les thèmes des cérémonies de transition sous forme de questions / réponses.
Mais le grand texte fondateur de la Franc Maçonnerie Française est le discours de Ramsay.
On pourrait dire comme pour les constitutions – LES – discours de Ramsay puisque l’on en connaît 3 versions. Ramsay est cet Ecossais Grand Orateur de l’Ordre, participant des premières loges parisiennes et épris de « quiétisme », doctrine inspirée par Fénelon.
Le texte est d’importance car il fait devoir aux maçons de s’intéresser à l’initiation, au monde, au progrès des connaissances, aux symboles et à l’initiation. Il nie la source traditionnelle des opératifs et se réfère à la lignée des ordres des Chevaliers de Jérusalem obligés au secret.
Il indique notamment : « nous avons nos mystères : ce sont des signes figuratifs de notre science, hiéroglyphes très anciens et des paroles tirées de notre art qui composent un langage.
On ne découvre que le sens littéral à ceux que l’on reçoit d’abord, ce n’est qu’aux adeptes qu’on dévoile le sens sublime et symbolique de nos mystères. Les sages de toutes les nations cachaient leurs dogmes sous des figures, des symboles et des hiéroglyphes. La lettre de nos lois, de nos rites et de nos secrets ne présentent souvent à l’esprit qu’un amas confus de parole inintelligible mais les initiés y trouvent un met exquis qui nourrit, qui élève et rappelle à l’esprit les vérités les plus sublimes ».
Les vérités dont il est question ici sont bien celles qui occupent le maçon. Si en leur temps les maçons opératifs se sont émancipés des donneurs d’ordres en partageant des devoirs – les vieux devoirs – les maçons spéculatifs ont fait plus tard de même vis à vis des autorités ecclésiastiques, en s’accordant sur des rites.
L’ouverture au monde et le partage des valeurs humanistes permettent aux Franc-Maçons de se rassembler en esprits, même s’ils sont épars et quels que soient les mystères de leurs fondations ou leurs traditions ancestrales, véritables ou symboliques.
F I N