Introduction
Le numérique s’installe partout, dans tous les domaines et personne ne peut y échapper. Face à ce déferlement, on rencontre toutes les réactions : d’un côté, ceux qui en ont peur et qui considèrent qu’il est la cause de tous les maux de notre société, de l’autre, ceux qui pensent au contraire que le numérique permettra de trouver toutes les solutions aux difficultés actuelles et puis il y a entre les deux un très grand nombre d’entre nous qui s’interrogent sur ce phénomène. Les premiers parleront d’uberisation de la société. Je déteste ce terme parce qu’il caricature, parce qu’il a d’emblée une connotation négative largement répandue par les mouvements sociaux. Les seconds parleront d’eldorado, de l’avenir de nos sociétés sans même s’interroger sur les conséquences. Les seconds sont aussi dangereux que les premiers. Je vous propose avec cette planche de partager quelques éléments pour que chacun puisse se faire son opinion.
Pour traiter le sujet, je commencerais par m’interroger sur ce qu’est le numérique et si l’on peut qualifier cette révolution d’une révolution industrielle au sens où elle s’inscrirait dans la suite des révolutions qui ont eu lieu entre le 18ème et le 20ème siècle. J’aborderais ensuite les piliers sur lesquels reposent cette révolution et les influences et bouleversements qu’elle engendre sur la société avant de conclure en prenant quelques exemples pour en mesurer les effets.
La révolution numérique, est-elle une révolution industrielle ?
Je vais commencer par définir ce qu’est le numérique. Au centre, on trouve les ordinateurs. Le premier ordinateur a été créé après la seconde guerre. Il portait le nom d’ENIAC. Il était composé de 15 000 tubes à vide que les Laboratoires Bell ont remplacés dans les années 50 par des transistors. En 1971, la société Intel annonce avoir rassemblé sur un support de 3,2 mm tous les circuits qui composent un ordinateur. Il peut effectuer 60 000 opérations par seconde c’est-à-dire exactement les performances de l’ENIAC qui occupait un volume de 80 mètres cubes. Au début des années 80, le processeur 68 000 s’appelait ainsi car il contenait 68 000 transistors. Au début des années 2000, le pentium en contient environ 2 milliards. La miniaturisation se poursuit et elle a permis le développement de l’électronique que l’on trouve dans tous les domaines. A côté de cette évolution de l’informatique, le secteur des télécommunications est passé de l’analogique (signaux électriques) au numérique (conversion en suite de nombres). Il en sera de même pour les images. L’informatique, l’électronique, les télécommunications sont les éléments techniques qui ont rendu possible les modifications en profondeur de notre environnement tels que nous pouvons l’observer aujourd’hui.
S’agit-il d’une simple évolution d’une technologie ou s’agit-il de quelque chose de plus vaste ? Peut-on qualifier de 3ème révolution industrielle cette généralisation du numérique et des technologies associées ? Ainsi, est-ce que la généralisation du numérique succéderait aux révolutions industrielles entamée au 18ème siècle en Angleterre avec la machine à vapeur et la mécanisation du textile puis celle basée sur l’utilisation de l’électricité et la production en série consacrée par le taylorisme? Ces deux premières révolutions industrielles reposant sur des transformations technologiques ont engendré des modifications profondes de nos sociétés accompagnées de mutations sociales qui ont été un terreau favorable pour le développement des idées politiques extrêmes.
Ce sont les innovations technologiques dans l’industrie et dans les transports qui ont permis des gains de productivité à partir de la fin du 18ème siècle. Ils ont contribué de façon très importante à diminuer le coût de la vie et stimuler la croissance économique. Ils ont été accompagnés de trois transformations sociales majeures :
-
Un accroissement de la population
-
Une augmentation de la consommation
-
Un recours accru au travail des femmes et des enfants
L’envie de consommer davantage conduit à travailler plus, augmente l’offre de travail en diminuant les salaires.
Les salaires n’ont recommencé à augmenter qu’avec, premièrement, la diminution de la main d’œuvre quand une partie des femmes ont quitté le monde du travail et les effets de la scolarisation des enfants) et, deuxièmement, l’augmentation de la productivité. On retrouve dans la situation actuelle les mêmes phénomènes :
-
Intensification et augmentation du nombre d’heures travaillées (flexibilité, remise en cause des 35 heures)
-
Stagnation des salaires
-
Immigration et mondialisation
J’aurais pu évoquer aussi l’introduction de l’imprimerie qui a modifié l’accès aux savoirs en permettant à un plus grand nombre d’y accéder. Il est indéniable que le smartphone, la tablette, le PC constitue des nouveaux vecteurs permettant à tout celui qui est connecté à l’internet d’accéder à un gigantesque réservoir de connaissances.
Je fais partie de ceux, c’est mon domaine professionnel, qui ont identifié dès le milieu des années 90 avec l’apparition de l’internet ce phénomène et deviner qu’on allait vivre une période de mutation. Ainsi, à la fin des années 90, un gouvernement a eu l’idée d’instaurer les 35 heures pour diminuer le nombre de chômeurs, il s’agissait de partager le travail. J’étais consultant à cette époque-là. J’ai réalisé plusieurs études dans des grandes entreprises pour déterminer comment le recours aux technologies numériques allait permettre d’augmenter la productivité de 10%. Face à la diminution du temps de travail, grâce au numérique, l’entreprise a adapté son organisation pour maintenir son niveau de production avec moins d’heures travaillées. C’est la pression qui s’installe sur les salariés grâce à des moyens de contrôle plus efficaces et systématiques. Il existe toujours un débat sur le nombre d’emplois créés dans cette période. En fait, ce que les décideurs politiques n’avaient pas envisagé, c’est qu’il n’y a pas eu de transfert direct de chômeurs vers l’emploi en tout cas pas en nombre aussi important que cela avait été imaginé. De nouveaux métiers sont apparus pour mettre en œuvre les outils informatiques nécessaires aux gains de productivité. Il a fallu former des personnes sans emploi à des métiers qui n’existaient pas. Cela se fait sur plusieurs années, 5 est un minimum.
Le numérique s’installe aujourd’hui dans tous les secteurs de la société et dans tous les domaines, de nouveaux métiers apparaissent en même temps que le numérique en fait disparaitre. A l’échelle d’une révolution industrielle, c’est une période de 20 ans à 30 ans qui est nécessaire pour accomplir une mutation complète de l’économie avec des conséquences sociales importantes. Nous avons connu entre le début des années 90 et 2008 (je mets une date précise car elle correspond au déclenchement de la crise économique mondiale) une période où le développement du numérique créait de l’emploi sans en supprimer beaucoup. C’est la période d’amorçage.
Le phénomène se développe inéluctablement mais il prend du temps jusqu’au moment où la technologie devient mature et où elle submerge nos sociétés.
Pourquoi 2008 est un repère qui m’apparait pertinent pour rattacher la crise économique à la révolution numérique ? Le déclenchement de la crise est la conséquence des subprimes. Petit rappel sur les subprimes. Ce sont des gens surendettés qui ne peuvent plus faire face aux échéances de remboursement. Beaucoup ont perdu leur emploi dans un pays où la protection sociale n’existe pas. Cette période coïncide avec celle où les technologies numériques ont atteint une maturité suffisante pour se déployer à plus grande échelle. Nous sommes entrés à ce moment-là dans une période de destruction massive des emplois qui sont touchés par la révolution numérique sans que les créations qui correspondent à la généralisation des nouveaux métiers ne puissent compenser les pertes. C’est en partie dû au décalage des formations. C’est là que l’on mesure également les différences entre les économies occidentales : certaines ont su s’adapter plus rapidement car les amortisseurs sociaux sont moins importants. C’est probablement un paradoxe où les effets des amortisseurs sociaux se retournent contre ceux qu’ils sont censés protéger. C’est aussi l’absence d’anticipation politique avec beaucoup de décisions qu’il aurait fallu prendre entre les années 2000 et 2008 et qui n’ont pas été prises. C’est durant cette période que l’Allemagne a procédé à plusieurs réformes majeures qui lui ont permis de mieux affronter la phase de crise économique et sociale.
L’apparition de l’internet est évidemment un facteur de diffusion des technologies numériques absolument essentiel. Là aussi, la maturité du web correspond à cette même période. Le réseau mondial de communication est un accélérateur de la mondialisation. Il permet la mise en réseau de toutes les entreprises de la planète. Les besoins de libéralisation de l’économie proviennent de cette interconnexion. On adapte les règles économiques internationales aux technologies et pas l’inverse. Les échanges de biens, de services, de personnes ne connaissent plus de frontières puisque le réseau informatique mondial les rend inopérantes. On doit faire face à une demande sans cesse croissante de l’accélération des échanges qui ne supportent plus d’être entravés.
Durant la dernière décennie, un peu plus probablement, toutes les technologies numériques ont convergé pour en faire un puissant moteur de transformation de l’économie mondiale. Citons quelques exemples : l’omniprésence de l’internet, les smartphones, la géolocalisation, l’infrastructure des réseaux informatiques, la miniaturisation en même temps que l’augmentation de la puissance des microprocesseurs, etc , etc … De toutes ces technologies, essayons de définir les piliers de cette révolution numérique. Ils sont au nombre de 4 et on parle des 4D.
Le premier « D », c’est la digitalisation. Tout ce qui peut l’être, qu’il s’agisse de processus, de produits, de services, est ou sera digitalisé. Dès lors, ils peuvent être modélisés, transmis via les réseaux, stockés et traités.
La digitalisation combinée avec tous les types de terminaux que sont les smartphones, les tablettes, les PC mais aussi les capteurs électroniques qui nous entourent génèrent de nouveaux produits et de nouveaux services. Ils font naitre de nouvelles entreprises qui, ensemble, créent un mouvement de démultiplication à l’échelle de la planète.
Le second « D » est la démonétisation. Elle intervient dès qu’une invention digitale passe à grande échelle grâce à l’immense marché que seuls l’internet et le smartphone peuvent adresser. Dans les modèles gratuits, grâce à une utilisation massive, c’est la publicité qui génère des revenus de substitution. Le faible coût d’entrée sur internet facilite la création de nouveaux business.
Le troisième « D » apparait sur le chemin de la démonétisation. C’est la désintermédiation. C’est pour moi un des éléments essentiels du bouleversement que connait notre société. Il modifie de façon radicale et définitive les relations commerciales dans tous les domaines d’activités. Ce phénomène concerne également les relations sociales, les loisirs, la culture, la politique. Les intermédiaires historiques peuvent disparaitre au profit de plateformes qui mettent en relation le fabricant, le producteur de biens ou de services avec le client final. Toutes les professions intermédiaires sont concernées et doivent se remettre en cause. Ce phénomène fait apparaitre des nouveaux acteurs que sont les particuliers et qui entrent en concurrence avec les professionnels. Quelques exemples : taxi, location voiture, location matériel de toute nature, location d’appartement, transport en co-voiturage, infos en ligne,… Les acteurs qui détiennent les plateformes captent une partie significative du revenu lié à la vente. C’est le cas par exemple des hôtels où la part de revenu préemptée par les sites de réservation est soustraite au prix de la prestation. Ainsi, le prestataire porte les risques de l’activité mais a beaucoup de difficultés à conserver une rémunération attrayante. Il y a là le risque d’appauvrir le système de production au sens large au bénéfice d’acteurs qui n’ont comme valeur ajoutée que celle de mettre en contact un client avec un prestataire. Le marché risque d’échapper aux professionnels de chaque secteur d’activités.
Enfin le quatrième « D » est la disruption numérique. Ce concept a été inventé il y a 24 ans par Jean-Marie Dru, Président de TBWA (acteur mondial de la communication que je pourrais qualifier de « fils de pub » pour le situer plus facilement). C’est une marque déposée dans 36 pays. A l’origine, dans les années 90, ce qualificatif n’était pas utilisé dans le business mais pour caractériser les grands traumatismes que sont les tremblements de terre, les tsunamis et autres catastrophes naturelles. Il en a fait une marque pour protéger la méthodologie créative proposée à ses clients. Voici la définition qu’il en donne « L’innovation disruptive est une innovation de rupture, par opposition à l’innovation incrémentale, qui se contente d’optimiser l’existant ». Elle expose les entreprises traditionnelles à de nouveaux concurrents qui, n’ayant pas le poids du passé à gérer, se développe plus rapidement et constituent des acteurs imprévus et plus agiles. On peut citer Uber ou AirBnB comme exemples de disruption numérique.
Ces nouveaux acteurs changent les règles du jeu et rendent la vie difficile aux entreprises installées qui ont du mal compte tenu qu’ils doivent continuer à gérer le présent à s’engager dans des voies incertaines et risquées.
L’impact des 4D remet en question les positions établies, souvent de longue date, créé de nouveaux marchés et favorise les nouveaux acteurs. Sur le chemin du développement exponentiel des technologies numériques, il y a la destruction de valeurs et d’emplois et une remise en cause de la domination par de nouveaux acteurs qui peuvent conquérir des positions imprenables en peu de temps. Les acteurs en place doivent impérativement changer rapidement ou seront changés s’ils faisaient de vouloir résister (taxis).
Tout ceci m’amène à conclure que nous sommes bien dans une révolution industrielle et probablement d’une ampleur plus grande encore et plus rapide que ce que nous avons connu dans le passé parce que tout se passe instantanément à l’échelle de la planète et nos économies sont plus développées et interdépendantes qu’il y a un siècle. Je vais prendre un exemple de disruption à la fin du 19ème siècle, début du 20ème siècle en se replaçant au début de l’apparition de l’électricité. A cette époque, il existait une industrie majeure qui produisait des bougies pour éclairer l’ensemble des lieux de vie, petits ou grands. Ces industriels qui surveillaient leurs concurrents, cherchaient à améliorer leurs produits et à les rendre plus compétitifs. Ils n’ont pas vu venir la technologie qui allait les faire disparaitre parce qu’elle n’était pas dans leur champ de vision. Ils n’ont pas su se repositionner sur la production d’ampoule et ont disparu en quelques dizaines d’années.
Les influences du numérique sur notre société
Elles sont nombreuses. Il serait difficile d’en dresser une liste complète. Je vais m’efforcer d’en détailler quelques-unes que je vais qualifier de plus importantes. Le numérique bouscule nos attentes, nos modes de pensées, nos modes de vie, nos modèles économiques et la manière de gouverner. Certains parlent d’un 6ème continent pour désigner le nuage numérique qui nous entoure et qui s’étend un peu plus chaque jour. C’est un continent que nous commençons à découvrir. Comme tous les espaces nouveaux, il est tout à la fois prometteur et effrayant. Le numérique est probablement une étape supplémentaire dans notre évolution. La question n’est certainement pas de savoir si nous pourrions nous en passer mais comment le maitriser pour qu’il puisse évoluer afin d’être le mieux possible sur le plan écologique et sur le plan socioéconomique.
Un premier secteur dans lequel le numérique a de fortes influences avec de véritables bouleversements est le domaine économique au sens très large. Je vais rapidement en citer 4 :
-
La désintermédiation que j’ai déjà un peu abordée et que l’on peut voir dans tous les domaines d’activités : le commerce, la santé, l’information, les services, etc. Le phénomène important est la modification de la relation avec les clients. Préalablement, selon les domaines d’activité, ce qui prévalait dans la relation commerciale pouvait être la proximité géographique, l’étendue du stock, la connaissance d’une clientèle, la capacité à livrer, à personnaliser. Désormais, c’est la présence sur le web et le fait d’être bien référencé dans les moteurs de recherche ou sur les sites de référencement. La proximité, la détention du produit, sa fabrication, le savoir-faire sont relégués au second plan. Si le client ne vous trouve pas sur le web, vous n’arriverez pas à vendre. De ce fait, une partie plus ou moins importante de la valeur ajoutée apportée par le prestataire est préemptée par les sites web. Ils appauvrissent celui qui fabrique ou celui qui fait et enrichissent celui qui détient le meilleur algorithme pour être trouvé parmi des millions de pages internet.
-
Toujours dans le secteur économique, une autre influence se situe dans le rapport à la propriété. Il se développe de plus en plus l’idée de louer des biens plutôt que de les acheter. Vous pouvez louer une voiture pour de courts moments (Autolib) mais des startups proposent aux particuliers de louer leur voiture quand ils ne s’en servent pas, de louer leur matériel de jardin ou bien leur matériel de bricolage. Ce sont aussi les locations d’appartements. Double impact : d’un côté, de nouvelles sources de revenus qui, pour l’instant, échappent au fisc et de l’autre côté, une concurrence nouvelle pour les professionnels du secteur concerné que ceux-ci ont beaucoup de mal à contrer. L’effet positif sur le plan écologique est le changement de comportement visà-vis de biens que l’on achetait et qui servaient très peu. J’aurais pu évoquer l’auto-partage que beaucoup d’écologistes voulaient voir se développer et qui a pris un essor incroyable avec les possibilités du numérique.
-
Enfin, je prendrais comme exemple dans le secteur économique le secteur de la santé. C’est un domaine où le préventif va connaitre un essor important grâce aux objets connectés et aux capteurs qui vont pouvoir recueillir en flux continu des tas de données permettant de quantifier l’activité physique. La santé devient une affaire de chaque instant. Il y a plein d’autres domaines où l’on pourrait s’interroger sur le positif et le négatif du développement numérique dans le secteur de la santé. Il y a l’assistance à distance pour les opérations chirurgicales complexes, le dossier du patient que certaines entreprises essayent de proposer pour prendre un avantage concurrentiel, l’assistance aux personnes handicapées, etc, etc.
Un second secteur soumis à l’influence du numérique est l’accès à la connaissance et l’éducation. Il faut prendre comme référence l’imprimerie qui a permis quand elle fut inventée de mettre à disposition à un nombre plus important des textes qui jusqu’alors étaient réservés à quelques initiés ayant les moyens de disposer de bibliothèques. Ce fut une étape importante du 15ème siècle jusqu’au 20ème siècle. Avec le numérique, il va permettre à deux milliards de personnes de se connecter au réseau internet. Je vais citer un second chiffre lié à l’encyclopédie multilingue Wikipedia accessible à toute personne connectée à internet. S’il fallait imprimer son contenu en pages A4, ils représenteraient une pile de 178 mètres. Seule la technologie numérique permet de rendre accessible cette base de connaissances. Il en est de même pour la formation et l’éducation. Internet peut apporter une démultiplication intéressante. Là encore, je vais prendre l’exemple d’un professeur de l’université de Stanford aux Etats Unis. Il enseignait sa discipline chaque année à 160 étudiants. Il met en ligne son cours. 160 000 étudiants s’inscrivent à son cours. Il a publié les corrigés puis il s’est créé un phénomène de corrections entre les étudiants eux-mêmes. Le professeur a estimé que sur les 160 000 étudiants inscrits, 24 000 environ avaient atteint le niveau des 160 étudiants qui assistaient physiquement aux cours. C’est un moyen pour un très grand nombre d’accéder aux cours de cette prestigieuse université. On mesure avec cet exemple la puissance de l’outil numérique mise au service de la formation.
Autre secteur soumis à l’influence du numérique : le système politique. Il a été bâti pour gouverner une société industrielle verticalisée. La révolution numérique remet en cause les fondements de notre organisation sociopolitique. La suppression des intermédiaires (la désintermédiation déjà évoquée) est la conséquence de la connexion directe que les systèmes numériques permettent entre le citoyen et les plus hautes autorités de l’Etat. Il n’y a plus de barrière ni de passage obligé par des intermédiaires pour accéder aux responsables politiques. Il autorise l’instauration de systèmes participatifs qui implique les citoyens. Exemple : en Islande, la constitution est en train d’être rédigée dans un cadre participatif.
Les trois derniers domaines d’influence que j’ai choisi d’aborder sont transverses et se déclinent dans beaucoup de secteur. Le premier, c’est l’interaction que permet l’internet entre les usagers.
L’internet est passé d’un stade qu’on appelle « data centric » c’est-à-dire centré sur les données au stade actuel de « user centric » c’est-à-dire centré sur les utilisateurs. Durant le premier stade, l’internet permettait la diffusion massive de données et d’informations. Google est devenu le maitre dans ce domaine. Puis, nous sommes passés aux blogs où chacun peut exprimer son opinion sur des tas de sujets. L’idée s’impose que la foule contient une capacité de réflexion pouvant être activée pour faire émerger des idées nouvelles. L’apparition des réseaux sociaux consacre l’avènement du stade « user centric ». Aux centres d’intérêts de chacun que permettait déjà le blog, on ajoute le maillage des relations entre internautes. C’est un outil à double facette avec une capacité extrêmement puissante de délivrer des informations mais aussi il permet de mettre en relation des personnes prêtes à se mobiliser pour des sujets communs. Facebook est devenu l’acteur emblématique des réseaux sociaux. On parle aussi de web 2.0 c’est-à-dire d’un web permettant l’interactivité.
Le second domaine d’influence transverse, c’est l’instauration de la transparence. Les réseaux sociaux renversent tous les systèmes opaques et modifient les règles de gouvernance. Les citoyens-internautes exigent la transparence. Les gouvernants sont obligés d’inclure les parties prenantes dans leur processus de décision faute de quoi ils peuvent se heurter à des mouvements d’opinions très puissants. Cela impacte la façon de faire de la politique mais aussi de manager des entreprises. Le pouvoir tel que nous l’avons connu depuis 3 000 ans change de forme.
Le dernier domaine d’influence que je souhaite aborder, c’est la disparition d’une organisation verticale ou pyramidale de la société au profit d’une organisation horizontale. La mise en réseau et les échanges numériques suppriment les intermédiaires. Dans ces conditions, le nombre d’échelons entre celui ou celle qui détient le pouvoir et celui qui est managé ou gouverné se réduit. Les citoyens en savent autant que tous les intermédiaires. Leur avis n’est plus sollicité. On préfère s’adresser directement au sommet. C’est vrai dans toutes les grandes organisations qu’elles soient privées ou publiques. C’est une des causes de la perte d’influence et d’intérêt des citoyens pour les partis politiques. Le citoyen n’a plus besoin de se déplacer dans les réunions politiques : grâce aux réseaux sociaux, il en sait instantanément autant que celui qui est chargé de faire redescendre les informations.
Conclusion
Voilà les éléments que je voulais partager avec vous. Le sujet est très vaste et il pourrait faire l’objet de nombreuses planches. Je n’ai pas traité la robotique et l’intelligence artificielle car j’ai eu l’idée d’une prochaine planche que je proposerais au collège : est-ce qu’un robot pourrait devenir franc-maçon ? Je crois que ce serait une planche qui pourrait associer symbolisme et sujet sociétal. Il y a de belles questions à se poser autour de ce sujet.
J’en viens à la conclusion de cette planche. La croissance rapide des systèmes numériques, des technologies de l’information et de la communication bouleversent radicalement nos modes de vie, de pensée, de comportement, de communication, de travail jusqu’à nos loisirs. Cette révolution numérique ouvre de nouvelles perspectives à la création du savoir, à l’éducation et à la diffusion de l’information. Elle modifie en profondeur la façon dont les organisations gèrent leurs affaires commerciales, administrent la vie publique. Elle permet de fournir des soins de santé à des personnes qui ne pouvaient en avoir et d’envisager autrement la protection de l’environnement. Elle peut améliorer la vie de millions de personnes. Il s’agit là d’une énumération d’effets plutôt positifs. Cependant, faut-il en avoir peur ? Le numérique est chez certains le boucémissaire qui sert à exciter les peurs : ubérisation, suppressions d’emplois, paupérisation des salariés, remise en cause des acquis sociaux. La technologie n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle ne prospère qu’à la condition qu’il existe un contexte favorable. Le numérique est un ensemble de technologies que les individus utilisent pour consommer différemment, pour créer de nouvelles interactions sociales. Il n’existe que par les usages qui en découlent, acheter autrement, travailler autrement, s’amuser autrement, draguer autrement. Tout changement inquiète. L’introduction du numérique dans l’économie, annonce-t-elle des jours heureux et une croissance abondante ? Évidemment non. Est-elle porteuse de dérives qu’il faut prévenir ? Oui, bien sûr.
Le numérique aggrave des problèmes existants parce qu’il accélère tous les processus. Céder à la peur du changement, c’est se réfugier dans le passé. Il nous appartient de nous emparer de cette technologie pour en faire le meilleur et empêcher le pire. La transparence induite par le numérique permet au citoyen et au consommateur de disposer d’un pouvoir de contrôler ceux qui ont le pouvoir ou veulent tout simplement leur vendre produits et services. A chacun de recourir à des entreprises de proximité, de privilégier les circuits courts pour l’alimentation ou les biens. A chacun de surveiller sa santé, de développer la prévention pour abaisser le coût de la médecine. L’exemple des VTC et de AirBnB est révélateur. Si ces services se sont développés de cette façon, c’est bien parce qu’il existait un blocage de ces secteurs d’activités et le numérique a simplement permis de contourner toutes situations figées qui profitaient à un petit nombre. La révolution numérique a permis de faire sauter des verrous installés depuis longtemps et que les pouvoirs publics refusaient d’affronter.
Les responsables politiques doivent proposer une vision positive, refusant les interdictions, évitant les exagérations. Ils doivent se préoccuper de la régulation des usages et pas de la technologie. Inutile de jouer les start-up contre les grandes entreprises, les anciennes contre les nouvelles, le secteur concurrentiel contre le secteur protégé. Tous les domaines d’activité, tous les acteurs économiques, toute la société saura se réinventer. Il y en a simplement qui iront un peu plus vite que d’autres et ceux-là sauront saisir des opportunités qui échapperont aux autres.