La chroniqueuse de l’émission nocturne à succès d’une chaîne du service public, est récemment venue, sans doute par maladresse, attiser les braises qui ne demandaient qu’à s’enflammer, de la guerre des mémoires. La polémique s’est aussitôt déchaînée et une émotion légitime s’est emparée des territoires ultra-marins.
La comparaison entre la Shoah et l’esclavage est évidemment absurde. La souffrance des victimes et de leurs descendants n’accepte aucune échelle de référence ou l’idée d’une hiérarchie que certains groupes identitaires suggèrent.
La notion de crime contre l’humanité repose fondamentalement sur l’affirmation de l’unité de l’humanité et de l’universalité des droits qui sont ceux de tout homme à raison de sa seule qualité d’être humain. Le crime contre l’humanité est constitué dès lors que cette commune appartenance de tous les hommes et groupes humains à la même humanité, leur est déniée.
Bien longtemps avant de recevoir sa définition juridique, c’est dans les débats de la première abolition, en 1794 à la Convention, que la notion a émergé. L’esclavage y est condamné comme un « crime de lèse-humanité », qualification qui sera ensuite reprise par Victor Schoelcher. C’est une notion universaliste qui s’adresse à l’humanité tout entière et s’oppose à toute appropriation communautaire.
Le travail mémoriel que ces groupes ont effectué était pourtant indispensable pour faire reculer les dénis de justice, conquérir une égale dignité et être reconnus comme des victimes. La mémoire est de l’ordre du jugement moral, elle repose sur le vécu, les douleurs, l’émotion et cherche d’abord à sauver de l’oubli. Les mobilisations mémorielles s’inscrivent dans des stratégies d’affirmation identitaire et produisent un récit militant qui débouche naturellement sur la concurrence de groupes humains désaffiliés, « à chacun sa mémoire », qui mine la paix civile et la conduit dans l’impasse.
Les francs-maçons du Grand Orient de France refusent cette compétition victimaire et la dénoncent. L’émotion doit conduire à la raison : c’est le rôle de l’histoire. Il faut se dégager de ces guerres de mémoires, où chacun dit sa vérité, pour arriver, grâce au travail historien, à un récit partagé, nourri de mémoires plurielles qui élabore une connaissance critique du passé intégrant dans la mémoire collective les nouvelles histoires, le vécu, les souffrances des uns et des autres et capable de créer du commun.
L’enseignement à retirer de cette polémique née dans les médias, c’est précisément le rôle essentiel qu’ils ont à jouer dans cette opération civique. Dans les interstices du travail historique, entre la recherche savante, l’histoire enseignée et les besoins, les demandes de la société, les médias ont l’obligation de faire toute leur place, à côté de l’expression des mémoires, à l’histoire et à ses chantiers.
Le 12 juin 2019